Un voyage, une épopée ! partie 3
Modifié le 08/03/2024 par SYLVIE PETIT

Dans la fournaise du train : un périple de 19 heures vers la mer !
30 heures déjà que nous étions partis de Paris, et le voyage était loin d’être terminé, il nous restait encore 18 heures de voyage pour atteindre notre destination !
Il régnait une chaleur intenable dans le train, les sièges revêtus de skaï étaient brûlants, et nous collaient à la peau, l’air était irrespirable, nous dégoulinions de sueur !! Dans les couloirs comme dans les compartiments les fenêtres étaient grandes ouvertes, mais l’air qui s’y engouffrait était aussi chaud que le Siroco. Les paysages défilaient sous nos yeux, d’un côté des paysages de terres brûlées, et de l’autre la mer d’un bleu extraordinaire. Nous avions qu’une seule envie à ce moment-là, y plonger dedans, ressentir cette sensation de fraîcheur quand l’eau vient caresser la peau. La mer était belle, splendide, elle était devant nous et nous ne pouvions pas en profiter. Elle était pour nous comme un mirage ! Il fallait être patient, bientôt, nous pourrions jouer avec elle ! Les heures passaient et la fatigue commençait à se faire sentir. Nous étions tous exténués ! Le train s’arrêtait à toutes les gares, et beaucoup de personnes montaient encore, il n’y avait plus de place, mais tant pis il fallait monter coûte que coûte. Le train roulait lentement, il semblait lui aussi souffrir de la chaleur. Je me souviens d’une année où la veille, aux informations de 20h, le journaliste avait expliqué qu’un train avait déraillé dans le sud de l’Italie parce que des rails s’étaient déformés sous l’effet d’une température anormalement élevée. Le lendemain, le train renversé était toujours là et on voyait les wagons gisant sur leurs flancs. Alors, la prudence était de mise, le train avançait très lentement. La tête collée à la fenêtre, je regardais ces paysages brûlés.
J’attends encore ce brouhaha quand nous nous arrêtions à une gare. Les vendeurs sur les quais qui criaient : « Coca-cola, bière, eau fraîche ! » « Pizza !! ». Je vois encore les personnes tenter de se rapprocher des fenêtres et d’essayer tant bien que mal de tendre leur bras, billets en main pour obtenir une boisson fraîche !!! Le Graal !
Tout le monde parlait avec l’accent du sud de l’Italie, un monde plein de vie. Certains vendeurs tentaient même une incursion dans les wagons avec des seaux pleins les boissons fraîches. Ils essayaient de se frayer un chemin parmi les passagers, qui ne cessaient d’augmenter dans les couloirs, car beaucoup de gens montaient, mais personne ne descendait.
Il y avait un bruit constant, un brouhaha, des cris, des rires, des pleurs d’enfants… la voix des vendeurs, la chaleur ! Quand le train était à l’arrêt nous n’avions plus d’air, nous suffoquions, le train était devenu une véritable fournaise ! Alors quand le soir tombait, la fatigue se faisait sentir, le bruit s’atténuait, et certains passagers épuisés se couchaient dans les porte-bagages du couloir. Je me souviens encore de ma stupéfaction quand j’ouvris la porte du compartiment pour tenter d’aller aux toilettes et de voir cette main qui pendait devant mes yeux.
La nuit tombée, nous aménagions le compartiment en un vaste lit, car les sièges pouvaient se tirer et se rejoindre. Exténués par la chaleur et la fatigue, nous nous allongions tête-bêche à même les sièges chauds et collants. La nuit était tombée et pourtant, aucune fraîcheur ne pénétrait dans le train. Nous savions qu’une très longue nuit nous attendait ! Petit à petit, le silence s’installait. La chaleur, avait eu raison de tout le monde, nous étions tous dans un état second, engourdis, à moitié dans le coma, dans un état léthargique.
Le matin au réveil, il nous restait encore 4-5 heures de voyage, mais nous étions contents, nous savions que l’on se rapprochait du but. Mais le réveil était difficile, on se sentait sale, abruti par la chaleur. Cependant, impossible de nous rendre aux toilettes pour se rafraîchir, ou faire nos besoins, car il n’y avait plus d’eau depuis la veille, sans compter que se frayer un chemin était compliqué, il y avait tellement de personnes dans le couloir, et surtout parce que des gens s’y étaient installés pour y passer la nuit. Alors, il fallait tuer le temps, oublier cette nuit cauchemardesque, il fallait s’armer de patience, et pour que le temps passe plus vite, on jouait à deviner qu’elle serait la prochaine gare !
Souvenirs d’une évasion en train : une aventure digne d’un polar !
Vivre ce voyage était déjà en soi une aventure, mais je me souviens d’une année où en plus de la chaleur, nous allions vivre des moments hors du commun, des aventures dignes d’un polar et d’un film catastrophe. Cette année-là, je me souviens que dès que le train arriva sur le quai de la gare de Rome, une atmosphère particulière y régnait. J’étais un peu plus grande, je devais avoir environ 10 ans. Je voyais plusieurs groupes de personnes se former et parler avec les contrôleurs. Les voyageurs n’étaient vraiment pas contents, j’attendais des personnes lever le ton, tout le monde était inquiet. Les discussions étaient houleuses, les gens gesticulaient, et montraient du doigt le dernier wagon. Mais qu’avait donc ce wagon pour créer autant de mécontentement ?
Et puis à force d’écouter, j’avais compris que ce fameux wagon transportait des prisonniers. Je ne comprenais pas trop pourquoi cela les perturbaient autant. Mais aujourd’hui, avec du recul, je les comprends, avoir un wagon plein de prisonniers qui descendaient en Calabre, des prisonniers qui pour certains devaient probablement faire partie de la mafia calabraise, ne leur plaisaient pas du tout. Ils avaient tous peur qu’il se passe quelque chose !
Par rapport à d’habitude ce train était composé de wagons avec des compartiments 8 sièges. Alors, il y avait deux hommes en plus avec nous. Tout se passait normalement, rien de spécial. Il faisait toujours aussi chaud, pas d’air, toujours cette sensation de suffoquer. Alors, je pris la décision d’aller à la fenêtre du couloir pour pouvoir avoir un peu d’air et regarder les paysages de terre brûlée. C’était une étendue de petites collines, noires et grises, sans plus aucune végétation, à part quelques restes des tiges de blés couleurs paille. J’étais hypnotisée par le décor, je regardais tranquillement le paysage défilé sous mes yeux, quand soudain, je vois quelqu’un sauter d’un wagon avec un matelas. J’avoue que sur le moment, je n’avais pas trop compris ce qui se passait, pourtant voir quelqu’un sauter avec un matelas aurait dû me sortir de ma torpeur ! Mais non ! Je reste là, à la fenêtre comme si tout était normal. Personne ne déclencha le signal d’alarme, le train continua sa course normalement. Et puis, après un long, il s’arrêta au milieu de la nature. À ce moment-là, je retournais m’asseoir auprès de ma mère, et je me mis à raconter tout ce que j’ai vu. Puis soudain, les deux hommes qui étaient dans notre compartiment se levèrent, regardant autour deux. Alors qu’ils se dirigeaient vers le couloir, mes yeux, comme ceux de ma mère se posèrent sur les revolvers qu’ils portaient à leur ceinture. Plus personne n’osait bouger. Les deux hommes faisaient les 100 pas, ils allaient de la fenêtre du compartiment à celle du couloir. Ils regardaient, surveillaient ce qui se passait. Une grosse tension s’installait ! Ces hommes ne rigolaient pas ! Puis, après un long moment le train redémarra et les hommes revinrent à leur place. Un grand silence s’était installé. Assis chacun à notre place, plus personne ne parlait. Je lisais dans les yeux de ma mère de la peur. Elle craignait pour nous. Pour tenter de briser la glace, ma mère offrit maladroitement à ces deux hommes des gâteaux, comme si rien ne s’était passé. Cependant, malgré cette tentative pour détendre l’atmosphère, une ambiance pesante régnait. A la gare suivante, les deux hommes descendirent et ne remontèrent pas, pour notre plus grand soulagement. Ces hommes devaient être là pour s’assurer que l’évasion se passerait bien ! Ils étaient très certainement des hommes de main de la mafia !
Aujourd’hui, c’est une aventure que je ne voudrais pas revivre !
Ma pauvre mère a dû avoir tellement peur ! Mais, je peux dire que du haut de mes 10 ans, j’ai assisté à une évasion en direct !!!
Traversée infernale : quand les flammes se dressent sur notre chemin !
Mais les mésaventures allaient continuer, car cette année-là, mon père avait pris la décision de ne pas déranger son frère pour venir nous chercher à la gare, nous devions donc prendre un autre train. Un petit train régional, une vieille micheline, pour arriver directement dans le village où nous avions notre maison. Heureusement, le trajet était relativement court, entre 1 heure -1heure ½. Il faisait toujours aussi chaud !!! Une fois dans le train, plus personne ne jouait, on ne voulait plus qu’une seule chose, arriver !!!
À contrario du train que nous avions pris à Rome, celui-ci était loin d’être bondé, il n’y avait que quelques personnes. Le train roulait tranquillement, nous traversions des paysages de terres brûlés. Petit à petit, on voyait de la fumée au loin et des terres en feu. Quand soudainement, le train s’arrêta. Au bout d’un certain temps, le conducteur, et le contrôleur vinrent nous voir.
– Nous sommes désolés, mais nous ne pouvons pas aller plus loin, car droit devant, nous les terres sont en feux. Les flammes sont trop proches des rails. C’est risquer de les traverser. On va attendre un peu pour voir si la situation s’améliore !
Le temps passe et rien ne change, le feu est là toujours aussi présent.
Nous étions tous là incrédules, abandonnés au milieu de la campagne. Personne n’allait venir nous chercher. Je me souviens qu’il faisait une chaleur horrible. Nous étions à l’arrêt dans un train où il faisait toujours aussi chaud. Nous étions épuisés, il fallait attendre. Après un long moment, le conducteur et le contrôleur se mirent à échanger entre eux. Ils hochaient la tête, faisaient de grands gestes. Manifestement, ils n’étaient pas d’accord, la discussion avait duré un bon moment, et puis au bout d’un certain temps le conducteur s’avança vers nous.
– Écoutez, le feu ne diminue pas, il ne va pas s’éteindre et nous sommes en plein milieu la compagne. Nous n’avons aucun moyen de prévenir quelqu’un, nous sommes à des kilomètres de la prochaine gare. On ne peut pas rester ici ! J’ai donc pris une décision. Je vais reculer la micheline le plus loin possible pour de pouvoir prendre de l’élan et prendre un maximum de vitesse pour traverser les flammes ! !
Puis son regard se porta sur les deux sœurs qui se trouvaient avec nous.
– Mes sœurs priez, priez le bon Dieu pour que tout se passe bien !
À peine eut-il prononcé ces mots que tous les passagers se mirent à faire le signe de la croix ! Le conducteur, retourna à son poste de pilotage, nous sentîmes la locomotive faire marche arrière, et cela, sur plusieurs mètres. Après un petit arrêt, le conducteur lança la micheline, les sœurs et les passagers se mirent à prier, et nous voilà partis pour traverser les flammes ! Un grand silence régnait, on n’attendait que le ronronnement de la micheline. Je regardais autour de moi, tout le monde était assis en train de prier. Il faisait chaud, la tension était à son comble. Les gens avaient les yeux fermés, la tête baissée, je voyais leurs lèvres bougées en murmurant des paroles. Le train avançait, chaque seconde un peu plus vite, plus un bruit, j’avais l’impression d’assister à une scène au ralenti, le temps était suspendu, pas un seul bruit ! Quand soudain, j’attends des cris, qui me font sursauter, ce sont des cris de joie, nous avions franchi les flammes. Tout le monde se leva et se mit à applaudir très fort le conducteur. La joie est de retour, tout le monde reprend sa respiration, nous étions hors de danger, sain et sauf. Le train a pu poursuivre sa route. Tout redevint normal. Et puis enfin la gare de Botricello, le terminus pour nous, nous descendîmes. Nous étions enfin arrivés après 48 heures d’attente et de voyages !!!
À nous les vacances ! À nous la mer, la plage !
